mardi 20 janvier 2015

Charlie and me

Bonjour à tous.

Parler chiffons ces derniers jours ne me disait pas grand chose, suite aux tristes événements qui nous ont tous touchés, de quelque manière que ce soit.
Après avoir fait une bonne indigestion de discussions "après Charlie", j'ai longtemps hésité à poster ce billet. De peur d'en agacer certains, d'en ennuyer d'autres, et puis finalement je me suis dit, à quoi tout ça aura servi si je n'ose pas m'exprimer librement, et surtout en toute franchise?
Je précise que je ne parle au nom de personne d'autre que moi-même, et comme je l'avais écrit dans un post précédent, si vous n'êtes pas en accord avec ce que je dis/suis, libre à vous de me lancer des tomates, ça ne me tuera pas. 

Avertissement: je vais utiliser les mots 'juif', 'arabe' et 'musulman' dans cet article.

Quand on m'a annoncé sur mon lieu de travail que les locaux de Charlie Hebdo avaient été attaqués et qu'il y avait des morts, je n'ai pas compris tout de suite. Le nom de Charlie Hebdo ne n'était pas familier. Je savais vaguement que c'était un journal assez marginal dans son traitement de l'info.
Je ne lis pas la presse. A la rigueur  un 20 minutes échoué sur un strapontin de métro, en diagonale. Je ne regarde pas les infos, je n'écoute pas la radio. Je prends la température du monde sur Facebook et sur les blogs de mode. Bref, vous l'aurez compris, je vis dans un monde de bisounours, un monde dans lequel seul mon indice de satisfaction a de l'importance, parce que je suis une personne égoïste.
Et puis des noms ont fusé. Cabu, Charb, Wolinski... Bien sûr je ne connaissais que Cabu (merci RécréA2), mais j'ai rapidement comblé mes lacunes grâce à l'inépuisable internet. Le puzzle s'est mis en place dans ma tête, et j'ai ressenti un énorme vide, une profonde tristesse et une colère indicible.
Mais le sentiment qui a pris le dessus a été le sentiment de honte.  Jusqu'à aujourd'hui, ce sentiment persiste. Honte de mon désintérêt pour mes contemporains, honte de mon ignorance, honte de mon manque d'engagement, de mon non agissement et honte de cette façon que j'ai de fermer les yeux. Alors quand je suis partie à la marche républicaine le 11 janvier, c'était ma façon à moi de demander pardon.

Puis, une fièvre s'est emparé du net et des réseaux sociaux. Une fièvre de solidarité, d'abord. Tous unis dans l'horreur. Puis autre chose a pris place. Quelque chose de mesquin et de nauséabond a infiltré nos cerveaux et gangrené nos claviers. Un petit jeu malsain a commencé, à savoir qui avait vraiment le droit de se revendiquer "Charlie ". Non mais pour qui se prend-on, je vous le demande, pour qui se prend-on, nous, non-lecteurs de Charlie Hebdo, pour avoir le droit de verser des larmes de tristesse et de colère? Gerbant. Non, je ne lis pas Charlie Hebdo, et oui j'ai pleuré nos morts. Je n'ai pas besoin de lire un journal pour me sentir concernée par la mort de tous ceux qui y ont laissé leur peau. 
Ensuite certains ont commencé à prendre en grippe les gens qui ne voulaient pas être Charlie, sans même essayer de les comprendre.  Bientôt on allait ficher tous les gens qui n'étaient pas Charlie. Merci Nathalie saint Cricq de ta bienveillance et de ton discernement. J'ai vu hier Jamel Debbouze s'exprimer avec sagesse sur les événements récents, et expliquer  qu'en tant que Musulman, 'il n'avait pas grandi avec la culture du blasphème, et que les caricatures du Prophète lui faisait de la peine.

Et puis un petit malin a jugé bon de prendre un supermarché casher pour un stand de tir à balles réelles. Des morts, c'est une chose. Des morts juifs, c'est autre chose. Pourtant, un mort est un mort, mais la société en a décidé autrement. Alors je ne vous ai pas précisé, je suis juive, non pratiquante, et mes croyances se limitent aux fantômes et au tarot divinatoire. Petite, ma mère m'a appris à cacher ma religion à l'école, de peur que...que quoi, je ne saurai jamais. Plus tard elle me conseillait de ranger mon étoile de David quand je devais me rendre à un entretien. C'est donc dans cette atmosphère propice à l'épanouissement que j'ai grandi, ne sachant pas vraiment ce qui me définissait, à part que j'avais une maladie appelée judaïsme, et que je devais me débrouiller avec. Ah oui, et j'ai aussi appris que les Arabes, c'est le mal (surtout quand on est juif). Mais j'y reviendrai plus tard. 
Si vous êtes juif, vous devez savoir qu'il est important de ne pas oublier la Shoah. Ne pas oublier sous-entend en parler. En parler beaucoup. Énormément. Jusqu'à écœurement. Il y un jeu super drôle, quand vous êtes dans une famille juive, qui consiste à faire remarquer à votre auditoire qu'untel est juif, surtout quand il a des qualités. Combien de fois j'ai entendu pendant qu'on regardait la télé "bien entendu, il est juif", ou "ah, bah voilà tout s'explique, il est juif". Cette manie de se mettre toujours en avant, toujours au-dessus des autres, et donc de côté finalement, m'a toujours fascinée. D'ailleurs, même sur un sujet aussi grave que le racisme, il fallait quand même qu'on se distingue, qu'on ait un mot rien que pour nous, l'antisémitisme. Nom d'un petit bonhomme, je vais me faire traiter d'antisémite si je continue!
Bref, tout ça pour en arriver au fait que je suis fatiguée de cette distinction. Fatiguée de ce comptage de points morbide à propos de l'échelle de la souffrance. Fatiguée de cette éducation qui vous apprend la haine de l'Autre. Éducation qui a fini, malheureusement, par faire son chemin dans ma petite tête. Parce que j'ai envie de hurler, par exemple, que je voudrais qu'on foute la paix aux Palestiniens, mais il y a cette petite voix dans ma tête qui m'empêche de le dire, ou du moins qui me fait croire que c'est une pensée impure. 

Toute ma vie, je me suis sentie honteuse d'être juive parce que, entre autre, je l'assimilais à la haine des Arabes et des Musulmans, alors que finalement, je n'ai jamais ressenti aucune haine, sinon contre les conventions qui choisissaient mes ennemis à ma place.

Oui, voilà tout ce que Charlie a réveillé en moi.  Voilà pourquoi je suis partie marcher ce dimanche 11 janvier. Pour demander pardon au monde de n'avoir pas pris de nouvelles de lui, et pour demander pardon aux Musulmans, qui n'ont pas fini de subir la haine de gens ignorants et dangereux.

Et comme un petit journal pas trop connu l'a dit, la semaine dernière, j'espère vraiment que "tout est pardonné".


Merci Charlie <3